Le billard et les parties de ping-pong au Club du 3e âge heureux, la danse, les sorties culturelles et même un séjour à Saint-Pétersbourg attendront. À l’heure du déconfinement Stevan Ostoja ressort prudemment de son domicile. À 70 ans et après un infarctus, qui l’a contraint à anticiper son départ à la retraite, la vigilance est de mise. Un masque de protection sur le nez, ses escapades à l’extérieur sont comptées. Mais il a largement de quoi s’occuper dans son pavillon, avenue de l’Est. Il y a le jardin et l’atelier en rez-de-chaussée. Entre machine à coudre, ciseaux, fils et boutons, l’endroit concentre son demi-siècle d’activité professionnelle dans le prêt-à-porter et la haute couture.
400 masques cousus
Pour l’heure, l’ex-ouvrier hautement qualifié fabrique des masques barrières. « Sur proposition de ma voisine Geneviève j’ai rejoint au mois d’avril la Fabrique solidaire où, avec d’autres bénévoles, nous confectionnons des masques en tissu destinés aux jeunes », explique ce grand-père de quatre petits-enfants.
« Chaque semaine un agent de la Ville me livre un sac de trente pièces prédécoupées avec leur élastique que je couds à la machine. »
L’un des seuls hommes de cette bande solidaire a déjà produit 400 pièces sur sa solide Juki japonaise.
« Je me fais plaisir et en me rendant utile, quoi demander de plus ? » Le temps est loin où le jeune émigrant débarquait en 1971 de sa Yougoslavie natale, son diplôme de tailleur-couturier en poche. Il a vécu les derniers feux du Sentier, le quartier parisien dédié au prêt-à-porter où il a travaillé à la pièce dans la confection de vestes et de manteaux. Pendant 7 ans, ce fut avec sa femme Mira dans un atelier rue de Touraine, prêté par un employeur. Il répliquait des vêtements inspirés de grandes marques.
Dior, Lagerfeld puis Alaïa
Contraint au chômage en 2001, l’intérim l’a fait glisser du prêt- à-porter à la confection de luxe.
« J’ai honoré des contrats chez Agnès B, puis Christian Dior où j’ai travaillé sur les vestes de Karl Lagerfeld, préparé la collection d’hiver du styliste John Galliano. »
Dans cet univers où l’étoffe s’ajuste sur la silhouette au millimètre près, Stevan a appris l’excellence, le labeur en équipe et les nuits blanches les veilles de défilés. Il passa les plus belles années de son métier dans l’atelier de la maison de couture Alaïa, un émigré comme lui.
« Le travail était stimulant, l’ambiance joyeuse et Azzedine Alaïa quelqu’un de blagueur et de très humain. »
Le couturier franco-tunisien montait alors vers son zénith. Les plus grandes stars et personnalités ont défilé dans son atelier parisien, et notre Bondynois n’en perdait pas une miette. La mort du créateur en novembre 2017 l’a saisi à l’hôpital où Stevan se remettait de son accident cardiaque. Si lui a dû cesser ses activités, Mira exerce toujours ses talents de couturière. Pendant ce temps Stevan s’applique à entretenir sa forme. « Dans ma nouvelle vie je marche beaucoup, je mange équilibré, sans sucre et j’ai banni l’alcool. » À son poignet, une montre connectée suit chacun de ses pas. Du cousu main pour surveiller sa santé.